Historique de la Coalition

SOMMAIRE

Le texte de cette page provient en grande partie d’un article de Me Stéphane Proulx, avocat au sein des Services juridiques communautaires de Pointe-St-Charles et de Petite-Bourgogne : Stéphane Proulx, « Aide juridique : la lutte pour un accès public à la justice pour toutes et tous », (2016) 16 Nouveaux Cahiers du socialisme, 143.

La naissance de la Coalition

La coalition pour l’accès à l’aide juridique voit le jour le 6 septembre 2007. 

À l’initiative de certains groupes communautaires et syndicaux, comme les Services juridiques communautaires de Pointe-Saint-Charles et de Petite-Bourgogne, la CSN et de représentants des syndicats des avocats travaillant à l’aide juridique, une invitation est lancée aux divers groupes communautaires, sociaux, syndicaux et intervenants du monde juridique qui se préoccupent d’accès à la justice. Cette invitation propose de débuter une campagne publique pour obtenir des modifications significatives à l’aide juridique afin de permettre l’accès à ce service aux travailleuses et travailleurs à faible revenu et au salaire minimum, aux personnes âgées qui touchent le supplément de revenu garanti, aux personnes qui vivent dans la précarité et qui n’ont toujours pas accès à l’aide juridique.

Ces groupes sont incités à se pencher sur les effets de la timide réforme des seuils d’admissibilité à l’aide juridique dont vient d’accoucher le gouvernement à la suite des conclusions du rapport Moreau. En effet, le gouvernement Charest vient d’introduire une hausse des seuils d’admissibilité échelonnée sur cinq ans. Cette hausse est si minime que la Coalition reprend le constat des avocats sur le terrain, à savoir qu’elle n’a aucun effet concret sur la hausse de l’accès à l’aide juridique. Comme le scande Me Lise Ferland à l’époque, instigatrice de la Coalition, « même les pauvres n’ont pas droit à l’aide juridique ».

Le rapport Moreau

En mai 2005, le rapport Moreau recommande une hausse substantielle des seuils d’admissibilité à l’aide juridique. Il prône le retour aux principes de base de l’aide juridique et suggère une hausse immédiate des seuils d’admissibilité, faisant passer ce seuil inchangé depuis 25 ans de 8 700$ par année à 12 500$ par année dans le cas d’une personne seule.

Malheureusement, les conclusions de ce rapport ne sont pas mises à exécution. Plutôt qu’une hausse substantielle, le gouvernement instaure une hausse quinquennale à pente douce, faisant passer le seuil salarial annuel pour une personne seule de 8 700$ à 9 695$ la première année (soit 68% du salaire minimum) avec un mécanisme d’indexation annuelle. Bref, en dépit des recommandations unanimes des groupes de travail ayant participé au rapport Moreau, c’est une hausse insatisfaisante et purement cosmétique qui est mise en place.

Pour avoir accès au rapport Moreau :

Groupe de travail sur la révision du régime d’aide juridique au Québec, Pour une plus grande accessibilité à la justice, Québec, ministère de la Justice, 2005 (Rapport Moreau), www.csj.qc.ca/IntranetUploads/CSJ/Francais/Fichiers/Rapport%20Moreau.pdf.

 Les premières revendications de la Coalition

Au départ, la Coalition réunit une vingtaine d’organismes. Lors de sa première rencontre, qui se tient le 6 septembre 2007, les revendications qui sont portées par la Coalition sont les suivantes :

  • que les personnes seules travaillant au salaire minimum (40h/sem.) aient accès gratuitement à l’aide juridique;
  • que les seuils d’admissibilité des autres catégories de requérants, incluant le volet avec contribution, soient augmentés en conséquence;
  • que l’admissibilité à l’aide juridique soit déterminée en fonction du revenu mensuel des requérants;
  • et, que l’indexation annuelle des seuils d’admissibilité soit maintenue.

Le choix de ces revendications spécifiques résulte d’un calcul stratégique. On fait le pari que ces revendications, qui ne sont ni extravagantes ni très exigeantes en termes financiers, font l’unanimité et sont probablement  à portée de main, compte tenu notamment des recommandations récentes du rapport Moreau. En effet, le premier facteur d’exclusion des justiciables qui demandent l’aide juridique est le facteur économique, soit les seuils d’admissibilité trop bas.

Les premières actions de la Coalition

La Coalition, dirigée par un comité de coordination, élabore un plan d’action dès le début afin d’inciter le gouvernement à modifier le régime d’aide juridique. Malgré une panoplie d’actions, telles que des manifestions, des campagnes de lettres, des sollicitations d’appuis ou des conférences de presse, le ministre de la Justice de l’époque, Me Jacques Dupuis, tarde à accepter de rencontrer la Coalition.

Après un an d’efforts, la Coalition obtient enfin une rencontre vers la fin de l’année 2008. La rencontre est décevante. Le ministre n’a aucune intention de hausser les seuils avant 2010. Il prétend que les demandes de la Coalition coûteraient des milliards.

En décembre 2008, à la suite d’élections, Me Dupuis n’est plus ministre de la Justice.

Il est remplacé par Me Kathleen Weil. Le 25 juin 2009, la Coalition la rencontre. Cette rencontre est tout aussi décevante. La ministre souhaite attendre la fin de la hausse quinquennale (fin 2010) des seuils avant de consacrer de l’énergie à ce dossier.

Un travail de longue haleine

Devant le peu d’enthousiasme des personnes élues, la Coalition prend conscience que l’obtention des revendications sera un travail à très long terme. Comme le soulignait un des acteurs de la Coalition, Me Paul Faribault :

 Comme une large mobilisation n’était guère possible, le comité de coordination a plutôt adopté une stratégie à long terme, celle du « caillou dans le soulier ». On n’avait pas les moyens de faire vraiment mal, mais on pouvait être agaçants de façon constante…

En octobre 2010, le Barreau du Québec, reprend à son compte les revendications de celle-ci. Il publie un document intitulé L’accès à la justice est en danger! dans lequel il presse le gouvernement d’arrimer les seuils d’admissibilité au taux du salaire minimum. Ce document comporte une étude réalisée par deux économistes concluant que cette hausse peut se faire à coûts raisonnables.

Le 1er avril 2011, le ministre libéral de la Justice, Me Jean-Marc Fournier, rencontre la Coalition. Cette rencontre est positive. Le ministre écoute les demandes de la Coalition avec intérêt et promet de se pencher sous peu sur ce dossier.

Le 22 novembre 2011, le ministre donne les détails de son Plan Accès Justice qui comporte notamment une augmentation des seuils d’admissibilité à l’aide juridique. Or, la hausse annoncée est semblable à la précédente : plutôt que d’arrimer les seuils au salaire minimum, on les arrime aux seuils de l’aide sociale, ce qui est carrément désastreux. La Coalition publie alors un communiqué de presse intitulé : « Un bien petit pas pour la justice… » et évoque un détournement du régime d’aide juridique. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse ajoute sa voix aux critiques en demandant un rehaussement des seuils.

Un tournant vers l’augmentation des seuils d’admissibilité

Les rencontres et les actions de la Coalition se poursuivent. Une campagne auprès des personnes députées s’organise, des communiqués de presse sont envoyés. En septembre 2012, des élections provinciales ont lieu. Des promesses de hausser les seuils sont faites par le Parti québécois qui remporte finalement les élections. Le nouveau ministre de la Justice, Me Bernard St-Arnaud, est à son tour interpellé par la Coalition. On lui demande s’il tiendra ses promesses. En décembre 2012, il rencontre la Coalition et affirme avoir peu de marge de manœuvre compte tenu de la situation budgétaire.

Rien n’est donc encore obtenu et la Coalition continue son travail de mobilisation.

Une hausse substantielle des seuils d’admissibilité

Le 4 octobre 2013, le ministre St-Arnaud annonce une hausse importante des seuils. Cette hausse doit faire en sorte qu’une personne seule travaillant au salaire minimum à raison de 35 heures par semaine sera dorénavant admissible à l’aide juridique gratuite. Les seuils des autres catégories de personnes seront également haussés dans la même proportion. Le texte que le ministre publie le 11 décembre 2013 prévoit aussi une indexation des seuils arrimés à ceux du salaire minimum.

Cette hausse annoncée n’est cependant pas immédiate. Elle entre en vigueur que le 1er juin 2015, soit 20 mois plus tard, ce que décrie la Coalition tout en reconnaissant le caractère significatif de la hausse.

En février 2015, la nouvelle ministre libérale de la justice, Me Stéphanie Vallée, publie un communiqué de presse. Le titre semble laisser croire à l’annonce d’une bonne nouvelle : « Le gouvernement du Québec maintient la hausse prévue des seuils d’admissibilité financière à l’aide juridique qui entrera en vigueur le 1er janvier 2016 ». Plutôt qu’un maintien de la hausse, c’est en fait un report de sept mois qui est furtivement annoncé par un gouvernement dont les mesures d’austérité se multiplient.

La Coalition dénonce ce report inattendu de dernière minute qu’elle trouve injuste. L’expression anglaise « Justice delayed is justice denied » est utilisée pour dépeindre sa consternation.

Le 1er janvier 2016, la hausse des seuils d’admissibilité à l’aide juridique et leur arrimage au salaire minimum entre enfin en vigueur. Cette hausse résulte d’une lutte collective menée par la Coalition pendant huit ans grâce à la persévérance de ses membres qui n’ont cessé de croire qu’il était possible de faire changer les choses.

Vers de nouvelles revendications

Après l’entrée en vigueur de la hausse des seuils d’admissibilité, la Coalition se questionne sur son avenir. Lors de l’assemblée générale du 23 février 2016, les membres se penchent sur la pertinence de maintenir en vie la Coalition étant donné la réforme de 2016 qui a répondu à ses revendications.

Au terme de longues discussions, les membres décident de maintenir en vie la Coalition. Le travail de celle-ci demeure pertinent afin de veiller à ce que l’aide juridique soit accessible. Un comité de travail est alors formé pour notamment identifier les nouveaux enjeux prioritaires et définir le rôle de veille que doit jouer la Coalition.

Ce groupe de travail consulte les membres de la Coalition par l’entremise d’un questionnaire pour identifier les obstacles qui demeurent et freinent l’accessibilité à l’aide juridique.

Lors de l’assemblée générale du 6 novembre 2018, le groupe de travail présente le fruit de ses consultations, soit une nouvelle déclaration de principes et de nouvelles revendications :

  • Il faut évaluer l’effet réel de la hausse des seuils d’admissibilité qui semble bien plus modeste que prévu;
  • La méthode de calcul du revenu aux fins de l’admissibilité économique à l’aide juridique est un facteur d’exclusion;
  • Le calcul de la pension alimentaire dans la détermination du revenu en est un autre;
  • Trop de services juridiques essentiels à la sécurité des plus démuni.e.s sont exclus des services ou soumis à la discrétion des bureaux d’aide juridique;
  • L’enjeu de la tarification des services d’aide juridique offerts par la pratique privée met à mal le droit au libre-choix de l’avocat.e;
  • Au bilan, l’aide juridique a besoin de nouvelles ressources financières à titre de service public et d’outil de justice sociale; 

Un rôle de veille actif

Depuis l’adoption de ses nouvelles revendications, la Coalition mène un rôle de veille actif. Les chiffres montrent que la hausse significative des seuils d’admissibilité n’a pas eu l’effet escompté, c’est-à-dire qu’elle ne s’est pas traduite par une augmentation significative de nouveaux clients admis à l’aide juridique.

Des gains ont été faits collectivement lorsque le gouvernement provincial a adopté une exemption de la pension alimentaire pour enfants à la hauteur de 350$ par enfant par mois dans la détermination des revenus d’un.e requérant.e de l’aide juridique.

Néanmoins, outre l’admissibilité financière, d’autres obstacles limitent toujours l’accès à l’aide juridique.

La Coalition joue un rôle actif de veille sur les questions de l’aide juridique, lui permettant d’agir notamment en commentant des projets de loi, en prenant la parole dans l’espace médiatique, en interpellant les élu.e.s lors de l’étude des crédits. Elle se questionne par ailleurs sur les conséquences du virage technologique et de la pandémie sur l’accès à l’aide juridique.


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